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Entretien avec Anouk Robillard, ange investisseure et Sarah Jenna, cofondatrice et PDG de MIMS

Dans le cadre de son initiative "Ces Femmes Qui Osent", qui a pour but d'accroître la diversité hommes-femmes chez les anges investisseur.e.s, Anges Québec dévoilera au courant du mois de mars une série d’entretiens avec des femmes entrepreneures et anges investisseures inspirantes qui ont fait leur place dans un monde d’hommes.

L'initiative #CesFemmesQuiOsent a pour objectif d'accroître la diversité hommes-femmes chez les anges investisseur.e.s.  En savoir plus.

Découvrez nos deux premières sources d’inspiration, Anouk Robillard, ange investisseure membre d’Anges Québec ainsi que Sarah Jenna, cofondatrice et présidente directrice-générale de MIMS.

 

L'ambition n'est pas un gros mot

Bonjour mesdames. Merci d’avoir accepté notre invitation!  Pouvez-vous nous parler de vos parcours professionnels?

Sarah :  avant de cofonder MIMS, j’étais une scientifique de carrière, ayant travaillé pendant plus de 20 ans en recherche dans le domaine de la biologie des systèmes.  J’ai fait mes études doctorales en Europe et suis devenue professeure d’université au Canada. 

Il y a 4 ans et demi, j’ai découvert que j’étais une entrepreneure! (Rires).  Je l’ai probablement toujours été, sans le savoir.  Je suis tombée complètement en amour avec le métier et ai décidé de faire le grand saut.  En moins de 4 ans, mon entreprise est passée de 3 à 34 employés, dont 50% sont des femmes, ce dont je suis excessivement fière.  À ce jour, nous avons signé pour plus de 5M$ de contrats avec différentes compagnies les domaines pharmaceutiques et agricoles. 

Anouk :   Dans mon cas, je suis une financière avant tout.  J’ai étudié en finances et passé les 10 premières années de ma carrière en investment banking dans le domaine de la technologie. J’ai participé à de nombreux IPO, financements et acquisitions à Montréal, avant d’aller m’installer à Londres pour y poursuivre ma carrière. 

Quand je suis revenue, j’avais soif de nouveaux défis!  Sachant que j’étais une intrapreneure et non une entrepreneure, je me suis jointe à une entreprise de moyenne taille, à l’époque, pour laquelle j’ai occupé diverses fonctions. J’ai participé à sa croissance jusqu’à sa vente. J’ai adoré la vie en entreprise, où j’ai eu la chance de toucher à plusieurs domaines et où j’ai découvert ma passion pour l’intelligence des données.

Quels beaux parcours! Quel a été le déclic qui vous a poussé à vous lancer comme entrepreneure (Sarah) et ange investisseure (Anouk)?

Sarah : Il y a plus de 5 ans, je sentais que j’étais arrivée au bout de ma carrière académique. Les promotions ou possibilités d’avancement qui m’étaient offertes ne me correspondaient pas. Je sentais que j’avais besoin de nouveaux défis!

C’est à ce moment que j’ai rencontré un de mes cofondateurs, qui m’a montré que mon rêve était possible, c’est-à-dire faire de la recherche et développement de très haut niveau, dans un contexte industriel, ce avec beaucoup plus de moyens. 

J’ai donc pris une année sabbatique durant laquelle nous avons fondé MIMS, tout en me disant que je retournerais à ma vie académique à la fin de mon congé.  En effet, l’idée de prendre les rênes de MIMS ne m’avait même pas traversée l’esprit à ce moment. Mon plan était d’engager un PDG à la fin de ma sabbatique!  Étrange, non?

C’est en côtoyant d’autres entrepreneurs que j’ai réalisé que je me sentais totalement ‘sur mon X’ en tant qu’entrepreneure.   Dans le milieu académique, je sentais que plusieurs de mes capacités étaient étouffées alors que, dans mon rôle de PDG, ces dernières ont pu s’épanouir complètement.  J’ai senti immédiatement que j’avais trouvé ma gang.

En bref, j'étais une entrepreneure sans le savoir.  Ce fût une grande révélation pour moi.

 

As-tu vécu des moments de doute par rapport à ce pivot de carrière?

Peu après son lancement, MIMS a vécu une période difficile.   Une ronde de financement s’est effondrée à la dernière minute et nous nous sommes retrouvés à cours d’argent.  Cette nuit-là, j’ai eu des problèmes d’insomnie.  Ironiquement, ce qui m’a permis de m’endormir a été de me promettre que je ne retournerais jamais à l’université et qu’il n’y avait pas d’échappatoire, que l’entrepreneuriat allait être ma vie à partir de maintenant.  C’est cette certitude que j’étais à ma place et que je croyais en ce que je faisais qui m’a calmée.

 

Quant à toi Anouk, quel a été le déclic qui t’a poussé à faire le saut en tant qu’ange investisseure?

Pour ma part, il y a eu deux éléments déclencheurs qui m’ont poussée vers le métier d’ange.

Premièrement, puisque la stratégie et l’innovation en technologie est ma profession et également ma passion, je lis à peu près tout ce qui s’écrit sur les nouvelles tendances en technologie.  Avec le temps, j’ai réalisé que même mes nombreuses lectures et formations suivies ne me satisfaisaient pas assez, car il y avait toujours un enjeu de profondeur et de compréhension de comment ces technologies s’appliquaient dans la réalité. 

Être ange investisseure me permet d’être aux premières loges de l’innovation technologique et d’apprendre des choses auxquelles je n’aurais pas accès via un article ou une formation.

Deuxièmement, j’ai toujours investi de manière traditionnelle pour protéger mon futur, en confiant une partie de mes avoirs à un gestionnaire de portefeuille.  Même si je peux lui préciser mes critères d’investissement, je n’ai pas le plein contrôle sur les décisions et ce rôle passif n’est pas très stimulant.

Je me considère comme une fondamentaliste, c’est-à-dire une ange investisseure qui aime comprendre et analyser une opportunité sous toutes ses facettes, plutôt que de simplement regarder des courbes et des chiffres.

Le métier d’ange investisseur.e est donc hautement plus stimulant à ce niveau que l’investissement traditionnel!

 

Selon une étude réalisée par Highline Beta et Female Funders, seulement 15,2% des associées chez les firmes d’investissement canadiennes sont des femmes alors que les directrices associées représentent seulement 11,8%. Selon vous, pourquoi si peu de femmes occupent-elles des postes décisionnels dans l’industrie canadienne du capital de risque?

Anouk : Je pense qu’il faut tenir compte qu’à la base, plus de femmes se dirigent vers des études en comptabilité et plus d’hommes en finance.  De plus, selon mon expérience, les femmes choisissent davantage de travailler en entreprise qu’en cabinet d’investissement, où la conciliation travail-famille est un défi.  J’en suis l’exemple même car, dans mon cas, j’ai quitté la vie de cabinet d’investissement après avoir eu ma première fille pour être en mesure de consacrer du temps à ma famille.

Cela dit, je ne veux pas minimiser cette situation.  Socialement, je crois que les femmes sont éduquées très tôt à devenir des femmes prudentes et responsables et qu’elles manquent peut-être de modèles dans la prise de risque.  Il y a donc des améliorations à faire au niveau de l’éducation des femmes face au risque. Il faudrait davantage promouvoir les femmes entrepreneures et investisseures afin de partager de belles histoires à succès.

Sarah :  La biologiste en moi va parler.  La sélection naturelle a fait de nous des créatures protectrices afin d’assurer la survie de nos progénitures.  Donc biologiquement, les femmes sont prédisposées à être plus conservatrices.  Ceci dit, les êtres humains adaptent leurs tendances biologiques et ont également une personnalité qui leur est propre, ce qui fait que nous ne sommes évidemment pas tous conçus à partir du même moule.

Formulons-le ainsi : sur le spectre de la tolérance au risque, il y a certes des femmes aux deux extrémités, mais en moyenne, il y a certainement plus de femmes qui ont une gestion du risque assez éduquée et calculée. Ceci étant dit, je pense pour ma part, avoir une tolérance au risque qui est souvent supérieure aux hommes qui m’entourent.

 

Selon PitchBook, les entreprises fondées uniquement par des femmes n’ont reçu que 2,5% du total du capital de risque investi en 2019, aux États-Unis.  Selon vous, pourquoi si peu de femmes entrepreneures accèdent-elles au capital de risque?

Anouk : Je crois qu’il faut noter qu’à la base, il y a également moins de femmes qui ont un intérêt pour la technologie ou la finance, ce qui fait qu’il y a davantage de femmes qui lancent des entreprises dans des secteurs traditionnelles versus technologiques. Les joueurs du capital de risque recherchent les grands rendements, ils ont donc un bassin plus restreint dans lequel piger quant il s’agit d’entreprises à fort potentiel de croissance dirigées par des femmes.

Cela dit, je ne veux pas minimiser cette situation, car toutes proportions gardées, il y a d’autres facteurs qui expliquent cette situation. Je pense que lorsqu’un entrepreneur et un investisseur sont du même sexe, ceci simplifie les codes de communication et accélère l’aisance et la confiance entre les deux individus.

Par exemple, les femmes expriment la confiance différemment d’un homme.  Je crois qu’un homme ange investisseur mesure la confiance d’un.e. entrepreneur.e en se basant sur son assurance, son langage non-verbal, sa façon de s’exprimer,  alors qu’une femme ange investisseure mesure la confiance en allant au-delà de l’image.

Si je me base sur mon expérience, les femmes sont mieux prédisposées à anticiper le risque, tandis que les hommes ont tendance à foncer et faire face à une situation lorsqu’elle survient.  En théorie, de par leur nature alerte et réfléchie, les femmes devraient donc avoir plus de facilité à lever du financement, mais les chiffres démontrent que ce n’est pas le cas.

Sarah : je suis tellement d’accord avec Anouk.  Les codes de communications sont différents, ce qui fait qu’il est plus difficile pour des individus de sexe différent de s’apprivoiser rapidement. 

Je crois qu’ultimement, au-delà des métriques et des chiffres, un.e investisseur.e veut savoir si l’entrepreneur.e dans qui il ou elle pense investir va bien prendre soin de son argent.  Dépendamment si l’investisseur.e est un homme ou une femme, le test de confiance ultime qu’il ou elle fera passer à l’entrepreneur.e pour répondre à cette question sera différent et certainement plus instinctif ou inconscient lorsqu’il est entre individus du même sexe. 

Puisqu’il y a encore peu de modèles de femmes entrepreneures en innovation, je crois que les investisseurs masculins n’ont pas encore un cadre de référence précis pour mesurer leur niveau de confiance dans une femme entrepreneure.

 

Comment une bonne entrepreneure devrait-elle percevoir le risque?

Sarah :   Selon moi, une bonne entrepreneure n’est pas nécessairement celle qui se lance les bras ouverts dans des situations risquées, mais plutôt celle qui sait très bien le gérer.

Anouk :  Je suis complètement d’accord!

 

Anouk : Sarah, j’ai envie de te lancer une question. Si tu avais fait le saut en entrepreneuriat plus tôt dans ta vie, crois-tu que tu aurais eu le même succès? 

Le fait de me lancer à plus de 45 ans m’a permis d’avoir davantage confiance en moi.  Certaines femmes possèdent cette confiance très tôt, mais ce n’était pas mon cas.  L’expérience a été nécessaire pour me permettre d’assumer mon leadership et acquérir cette confiance qui est essentielle pour lancer son entreprise.  La boss aujourd’hui, c’est moi et je l’assume! (Rires)

 

Selon vous, quelles sont les pistes de solution qui permettraient d’augmenter le nombre de femmes entrepreneures qui accèdent au capital de risque?

Sarah : pour ma part, je crois qu’il manque cruellement de modèles, autant chez les entrepreneures qu’au sein des cercles décisionnels dans l’industrie du capital de risque.   Ce n’est pas parce qu’il n’y en a pas, mais parce qu’elles sont moins visibles.

Les modèles m’ont manqué lorsque je me suis lancée en affaires. J’étais une des seules dans mon domaine, ce qui était un peu insécurisant je l’avoue.  Je me suis demandé :  si je fais les choses différemment des autres, est-ce parce que je les fais bien ou mal? 

Lorsque nous atteindrons une masse critique de modèles féminins puissants et visibles, je crois que cela encouragera davantage de femmes à se sentir sécurisées et ainsi à se lancer.

Anouk :  Je pense qu’il faut changer la façon dont nous parlons de risque aux jeunes filles.  Le risque fait partie intégrante de la vie et, comme Sarah disait précédemment, il faut apprendre à le gérer et à être à l’aise avec cette réalité.  Il ne faut pas le fuir ou en avoir peur.

 

Quelle relation les femmes entretiennent-elles avec la perfection, selon vous?

Sarah : si vous participez à des compétitions de pitchs, ce que je fais régulièrement, vous remarquerez une grande différence entre la façon dont une femme entrepreneure présente versus un homme.

Règle générale, les femmes entrepreneures connaissent leur présentation sous toutes ses coutures. Elles présentent de manière très structurée et répétée.  Tandis qu’un homme improvise ou déroge davantage de son script initial.

Je crois qu’il faut faire attention à l’envie d’être parfaite.  Celle-ci nous enferme dans une bulle où nous nous concentrons sur des menus détails, ce qui nous fait passer à côté de l’essentiel, soit de connecter avec notre auditoire. 

Je suis devenue une bonne présentatrice quand j’ai compris que ma première tâche était de connecter avec l’investisseur.e devant moi.  Avec le temps, j’ai compris que si je n’établissais pas une connexion humaine avec l’investisseur.e, peu importe les métriques que je présentais, c’était peine perdue!

Anouk : de mon côté, j’apprécie écouter une présentation structurée et qui a beaucoup de profondeur.  Je ne me laisse pas séduire par des histoires non ficelées. 

Donc la façon de connecter avec moi n’est pas avec une présentation dirait-on spectaculaire, mais avec une présentation au contenu solide et réfléchi.  La perfection n’est pas importante, mais la rigueur, l’authenticité et la transparence sont des caractéristiques primordiales à mes yeux.

 

Questions en rafale

Quelle caractéristique essentielle recherches-tu chez un.e entrepreneur.e, Anouk?

La capacité à donner des réponses solides à des questions pointues.  J’ai entendu beaucoup de pitchs dans ma carrière dont l’histoire était excellente, mais dont le modèle d’affaires ne tenait pas la route dès que je creusais un peu plus loin!

 

Quelle caractéristique essentielle recherches-tu chez un.e investisseur.e, Sarah?

L’alignement avec la vision d’entreprise.  Pour moi, c’est important d’avoir des investisseurs qui ne vont pas nous amener dans une direction où on ne veut pas aller, qui vont dénaturer l’entreprise.

 

Une femme que vous admirez, connue ou non?

Sarah :  Ma grand-mère.  C’est plate, mais c’est ça!  (Rires).  Ma grand-mère n’est pas allée à l’école et a appris à lire et écrire en aidant son fils (mon père) à faire ses devoirs.  Elle a fait de la couture et du ménage toute sa vie pour élever ses enfants.  Elle m’a inculqué une chose : le fait d’aspirer à être indépendante et d’être une femme qui va se réaliser pleinement professionnellement.  Elle a eu une place extrêmement importante dans ma vie.

Anouk :  L’emblématique Ruth Bader Ginsburg. Elle a fait beaucoup pour l’égalité homme-femme.  Elle nous a montré que ce n’est pas facile de se faire accepter dans un monde d’hommes, mais elle a eu le courage et la résilience d’y arriver.

 

Une lecture intéressante sur le leadership féminin?

Anouk :  Je déteste les livres théoriques sur le leadership! (Rires).  Je préfère de loin lire des articles sur les technologies émergentes.

Sarah :  Idem!  Moi le soir, je lis des articles scientifiques et je révise mes modèles financiers.

 

Une devise personnelle qui vous inspire?

Sarah :  Fais confiance à ton instinct, car ton cerveau ne l’a peut-être pas encore compris, mais ton intuition le sait.

Anouk :  Ne succombe pas à la pression de te conformer : garde ton audace et ton authenticité!

 

Si vous avez été inspiré.e par cette histoire, faites le saut et devenez un.e ange investisseur.e dès aujourd'hui.

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