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Entrevue avec Chantal Goffoz Thieblin, ange investisseure et Chrissy Durcak, Fondatrice et PDG de Dispatch Coffee

Dans le cadre de son initiative "Ces Femmes Qui Osent", qui a pour but d'accroître la diversité hommes-femmes chez les anges investisseur.e.s, Anges Québec dévoilera au courant du mois de mars une série d’entretiens avec des femmes entrepreneures et anges investisseures inspirantes qui ont fait leur place dans un monde d’hommes.

 

En savoir plus sur l'initiative #CesFemmesQuiOsent.

Découvrez deux sources d’inspiration, Chantal Goffoz Thieblin, ange investisseure et Chrissy Durcak, Fondatrice et PDG de Dispatch Coffee.

 

Rester fidèle à ses valeurs

Bonjour mesdames. Merci d’avoir accepté notre invitation!  Pouvez-vous nous parler de vos parcours professionnels?

Chrissy : Je suis née et j'ai grandi à Montréal.  J'ai d'abord commencé une carrière dans la réalisation de documentaires sociaux. J'ai toujours été passionnée par les questions de justice sociale et de développement durable. De plus, depuis l'âge de 15 ans, je travaillais comme barista, quand j'ai eu une révélation. J'ai réalisé qu'il y avait des histoires fantastiques à raconter à propos des chaînes d'approvisionnement du café, les familles de producteurs qui le cultivent et tous ces récits invisibles que le consommateur ne connaît pas. C'est ce qui m'a poussé à créer ma propre marque : la passion de connecter les consommateurs aux personnes, aux lieux et aux impacts de cette boisson qu'ils boivent chaque matin.

J'ai fondé Dispatch Coffee, une marque de café axée sur la qualité et la durabilité, en 2012 en tant que service de livraison à vélos de café froid infusé. Au début, l'entreprise était une page Facebook à partir de laquelle je collectais les commandes, puis je préparais du café froid, le mettais dans un pot Mason et le livrais à la porte de mes clients. L'entreprise a été fondée sur l'idée d'offrir une expérience personnalisée, simple, pratique, de haute qualité et agréable pour mes clients.

Notre modèle a évolué au fil des ans et nous sommes maintenant intégrés verticalement. Nous importons, torréfions et vendons au détail notre propre café; par conséquent, nous sommes "directement au consommateur". Notre objectif aujourd'hui est de créer une très grande marque de café maison.  Le produit principal aujourd'hui est un service d'abonnement mensuel personnalisable. 40% de nos clients sont au Québec et 60% à l'extérieur. Je suis également heureuse de dire que nous sommes une entreprise dirigée par des femmes.

Chantal :   Je suis de l'Île de la Réunion, dans l'Océan Indien. J'ai travaillé en Europe (Espagne, France) ainsi qu'en Amérique du Nord (États-Unis et Canada). Je suis passionnée par l'investissement d'impact, les stratégies de développement durable et la façon dont nous pouvons changer le monde en tant qu'entrepreneur.e ou investisseur.e.

En 2016, j'ai cofondé Divergent Capital, une société d'investissement d'impact.  Peu de temps après, en 2018, je me suis jointe à Anges Québec en tant qu'ange investisseure.

Récemment, je suis devenue associée directrice chez Credo Impact, une société de conseil en impact basée à Montréal, où je supervise le développement de la branche de développement durable et de la stratégie d'impact. C'est très excitant et épanouissant, car tout mon travail consiste à construire des ponts entre les entreprises, que ce soit les startups ou les grandes entreprises, et la société ou l'environnement.

 

Chantal, le fait d'avoir déjà lancé ta propre société d'investissement a-t-elle été bénéfique lorsque tu es devenue ange investisseure?

Fait intéressant, cette expérience aurait dû me rassurer sur ma capacité à être ange, mais je dois admettre que je n'étais pas si confiante au début. Lorsque j'ai rejoint Anges Québec pour la première fois, j'avais encore cette idée que je devais avoir des connaissances très avancées en finance. Quand j'ai réalisé que mon niveau de connaissances de la finance était plus que suffisant, j'ai commencé à me sentir plus confiante.

 

En grandissant Chrissy, as-tu déjà pensé à devenir entrepreneure?

Chrissy : Non, certainement pas. Personne n'est venu à mon école primaire et n'a dit que c'était une opportunité de carrière potentielle! (Rires).

Mon père était très entrepreneurial, donc c'est définitivement un modèle avec lequel j'ai grandi. Je pense que le monde des affaires était pour moi un exutoire de créativité, en plus de l'aspiration à devenir mon propre employeur. Je voulais aussi faire quelque chose qui pourrait rendre le monde meilleur de manière tangible : rendre la vie des gens plus joyeuse en leur servant du café de bonne qualité avec un service amical et transparent, et de l'autre côté des opérations, travailler à sortir les communautés d'agriculteur.e.s de la pauvreté grâce à de meilleures pratiques commerciales et à la collaboration. Aujourd'hui, je considère toujours Dispatch comme un très grand projet ambitieux et passionnant plutôt qu'une entreprise.

 

Lorsque vous êtes entrées en contact pour la première fois avec l'écosystème du capital de risque, aviez-vous le sentiment qu'être une femme jouait un rôle quelconque et si oui, comment cela a-t-il affecté votre expérience?

Chantal :  Cofonder Divergent Capital a été mon premier pas dans l'industrie du capital de risque, où j'étais la seule femme partenaire. Cela m'a appris qu'avoir des compétences diversifiées à la table de décision, complémentées par des points de vue différents, étaient la clé pour réussir des investissements.

Par conséquent, je pense que la diversité est importante et que les boys clubs ne devraient plus exister. Cela étant dit, il est important de maintenir un équilibre, car cela fait de nous des investisseur.e.s plus fort.e.s et plus intelligent.e.s.

Chrissy :  Tout d'abord, je veux partager un petit avertissement. Je souscris à l'idée que le genre est un spectre et je ne fais jamais de généralisations sur le fait que les personnes ayant les mêmes parties du corps partagent les mêmes caractéristiques, visions du monde ou comportements.

Cela dit, je m'identifie en tant que femme et ce n'est pas concret quel rôle le genre a joué dans mon expérience personnelle lors des rondes de financement. Avant d'approcher des investisseur.e.s, j'ai fait beaucoup de recherches sur l'écosystème du capital de risque et découvert des faits alarmants (par exemple, qu'un très petit pourcentage du capital de risque allait à des entreprises dirigées par des femmes), donc je savais que statistiquement, les chances étaient contre moi de clôturer un investissement.

Grâce à mes recherches, j'ai réalisé que l'industrie du capital de risque semblait définir le succès d'une manière très spécifique, mais pas nécessairement basée sur le sexe.  J’ai étudié les modèles de pitchs qui semblaient avoir du succès, en tirant des caractéristiques à mettre de l'avant et finalement j'ai travaillé pour incarner ce modèle.  Pour ma perspective féministe personnelle, ce n'est peut-être pas ainsi que j'aurais aimé y arriver, mais ça a fini par être une façon qui m'a permis de clôturer des investissements.

 

Quel genre de modèle as-tu senti que tu devais incarner?

Chrissy :  Ma vraie nature est d'être un peu plus humble à propos de mes réalisations et de mon expertise, ce qui n'était pas la recette du succès en tant qu'entrepreneure.

Je me suis rendue compte que présenter des métriques impressionnantes n'était pas aussi efficace que de vendre une vision, une histoire et de déborder de confiance. J'ai appris cela en regardant des hommes présenter et en les imitant, ainsi qu'en obtenant du coaching et du mentorat de la part d'hommes et de femmes entrepreneur.e.s prospères. Je ne peux pas dire si cette humilité est héritée du genre, mais il y joue certainement un rôle.  Beaucoup de petites filles sont socialisées dès un très jeune âge à faire attention à leurs manières et à parler doucement, par rapport aux garçons à qui nous demandons moins, ce qui, je crois, influence notre niveau de confiance et d'affirmation de soi en tant que femmes.

 

Chantal, quelle est la caractéristique essentielle que tu recherches chez un.e entrepreneur.e?

Chantal :  J'investis uniquement dans des entreprises d'impact, donc la première chose que je recherche est une entreprise qui génère des avantages sociaux ou environnementaux.

Quant à l'entrepreneur.e, je recherche quelqu'un qui sera ouvert à la discussion et au partage d'idées. La confiance en soi est importante, mais pour moi, il s'agit plutôt de pouvoir construire une excellente relation de travail avec l'entrepreneur.e.

 

Chrissy, quelle est la caractéristique essentielle que tu recherches chez un.e investisseur.e?

Chrissy : L'ouverture d'esprit est importante, mais je dirais que l'alignement des valeurs est le plus important pour moi. Dispatch est une entreprise très axée sur les valeurs : notre objectif n'est pas seulement la croissance à tout prix, il est donc important d'accueillir des investisseurs qui adhèrent à notre vision.

 

S'il y avait plus de femmes investisseures dans l'industrie canadienne du capital de risque, pensez-vous que cela changerait quoi que ce soit et si oui, quoi?

Chrissy : Je pense que cela mènerait à une économie et à un écosystème d'affaires plus diversifiés. Nous verrions plus de e de startups dirigées par des femmes, plus d'entreprises Fortune 500 dirigées par des femmes et également plus de personnes de couleur qui occupent des postes décisionnels.

Il existe des preuves substantielles qui corrèlent les investisseurs et les conseils d'administration diversifiés avec de meilleurs résultats d'affaires, par conséquent, nous verrions probablement des entreprises plus performantes. Espérons que nous verrions un monde plus juste, car 50% du monde est composé de femmes et elles doivent être représentées et prises en compte dans les décisions et politiques qui les concernent.

Chantal :  Je suis d'accord avec Chrissy, je pense qu'avoir plus de femmes dans des postes de direction diversifierait les projets qui sont soutenus.

En tant qu'ange, j'ai également remarqué que les femmes ont tendance à avoir une vision à plus long terme lorsqu'elles envisagent un investissement, par opposition aux hommes qui ont tendance à penser davantage à court terme.

Je pense qu'avoir plus de femmes investisseures signifierait une vision d'investissement à plus long terme, déterminée et résiliente.

 

Selon vous, quelles sont les solutions pour augmenter le nombre de femmes entrepreneures et investisseures?

Chantal :  Je pense que les femmes sont rassurées lorsqu'elles entrent ensemble dans un nouveau territoire, donc une initiative de type amenez-une-amie aiderait à augmenter le nombre de femmes investisseures, chez Anges Québec, par exemple.

Deuxièmement, je pense que la présentation de modèles diversifiés est une excellente façon d'encourager les femmes à entrer dans l'industrie du capital de risque. Par modèles diversifiés, j'entends des femmes qui sont considérées comme plus « marginales », pas seulement des femmes qui ont une feuille de route impeccable et pour qui devenir investisseures est la prochaine étape évidente. Je pense que les modèles "parfaits" sont vraiment impressionnants, mais un peu inaccessibles pour la plupart d'entre nous. J'aimerais voir plus de modèles féminins qui ont eu beaucoup de succès, mais aussi quelques échecs, afin que d'autres femmes s'identifient mieux à elles.

Chrissy :  Premièrement, je dirais qu'avoir, en tant qu'organisation, un mandat de diversité est une solution intéressante. Je sais que c'est un sujet épineux car il peut être considéré comme une discrimination à l'envers, c'est pourquoi certaines organisations hésitent à franchir cette étape.

Quant à Dispatch Coffee, nous avons un mandat interne selon qui dit que si nous avons deux candidats sur la table avec des capacités égales, nous choisirons la femme. Nous avons la même philosophie lorsque nous achetons du café : nous voulons augmenter le % de cafés que nous achetons à des productrices.  En 2020, ce nombre représentait 41% de tous nos cafés.

Deuxièmement, pour ajouter à la réponse de Chantal, je pense qu'avoir plus de modèles est tout simplement fantastique. Nous sommes une culture qui imite et apprend des autres. Dans le passé, j'ai carrément demandé à des femmes que j'admire d'être mes mentors, ou leur ai fait savoir qu'elles l'étaient.  Parfois, avoir une mentor signifie simplement avoir une porte ouverte pour appeler ou envoyer un courriel à une personne de confiance. Je pense que les progrès que nous avons réalisés sont dus à une petite poignée de femmes qui ont eu le courage de vivre leurs valeurs et ont invité d’autres personnes à faire de même.

Finalement, je pense que tout le monde devrait suivre une formation sur les biais inconscients, car nous avons tous ces préjugés que nous devons confronter et dont nous devons nous débarrasser.

 

Pensez-vous que la pression sociale exercée sur les femmes pour fonder une famille est une raison pour laquelle il y a moins de femmes entrepreneures et investisseures?

Chrissy :  C'est un fait que les femmes effectuent plus de travail domestique non rémunéré, dans les communautés et les familles du monde entier.  C'est un problème systémique car ça empêche les femmes de trouver le temps pour travailler 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 sur un projet, par conséquent elles ont moins de possibilités de créer des entreprises.

De mon point de vue, il est très important que nous reconnaissions cette réalité et que nous donnions plus aux femmes, afin qu'elles aient le même temps et les mêmes chances que leurs homologues masculins, qui font traditionnellement moins de travail domestique, que ce soit par le biais de programmes gouvernementaux, subventions, etc.

Je pense également que les organisations et le secteur privé ont un rôle essentiel à jouer pour garantir des politiques parentales plus flexibles en milieu de travail.

Chantal :  J'aimerais partager une anecdote qui touche à la réponse de Chrissy. Au début de la pandémie, mon mari et moi étions à la maison avec nos 3 enfants. J'ai essayé de faire suivre à mes enfants un horaire d'activités strict et de les garder occupés, parce que je travaillais beaucoup et que j'avais besoin de temps seule pour être productive.

Un jour, j'ai eu une réunion avec des VCs du monde entier pour discuter d'un projet international. Je me suis enfermée dans une pièce et j'ai interdit à mes enfants d'entrer, parce que je voulais montrer que j'avais ma vie sous contrôle. (Rires).

En me joignant à la réunion, je vois d'emblée plusieurs PDG, hommes ou femmes, avec des enfants qui courent et crient en arrière-plan. Je me souviens en particulier d'un président japonais, d'une entreprise importante, qui vivait dans un petit appartement et qui vivait exactement les mêmes enjeux familiaux que mon mari et moi. J'ai immédiatement senti la pression tomber!

J'étais tellement catégorique à propos de garder mes enfants hors de la pièce car je sais que les femmes sont souvent jugées plus durement si elles laissent leur vie de famille entraver sur leur vie professionnelle, par opposition aux hommes, qui sont souvent salués comme des héros lorsqu'ils prennent un congé pour prendre soin de leur famille.

Espérons que cette pandémie aura contribué à réduire les doubles standards parentaux.

 

 

Série de questions rapides à la Oprah

Une femme que vous admirez, célèbre ou pas?

Chrissy :  c'est drôle que tu mentionnes Oprah car c'est exactement elle que j'avais en tête! (Rires). J'adore à quel point elle a été sincère à propos de tous les obstacles qu'elle a surmontés et à quel point elle a réussi en restant authentique. Elle incarne toutes les caractéristiques auxquelles j'aspire (courage, compassion, intégrité) et j'aime ce qu'elle fait pour élever les autres femmes.

Chantal : Louise Arbour, qui entre dans la catégorie des modèles inatteignables, à mon avis. Elle a reçu au moins 40 doctorats honorifiques et de nombreux prix internationaux. Elle est une avocate et juge canadienne qui a été procureure en chef des crimes de guerre devant les tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et pour l'ex-Yougoslavie. Elle est une fonceuse en matière de défense des droits de l'homme et d'inclusion. Elle a contesté l'autorité. Elle exprime ce qu'elle pense.

 

Une lecture intéressante sur le thème du leadership féminin?

Chantal : J'ai récemment lu une publication sur l'économie circulaire de la Fondation Ellen MacArthur. On y expliquait qu'il y a beaucoup plus de femmes qui lancent des entreprises d'impact que des entreprises technologiques.  La raison avancée est que les femmes se sentent plus à l'aise de faire du travail leur priorité absolue si c'est pour faire le bien et aider les autres.

Chrissy :  Je suis vraiment fan de livres audio, de podcasts et je suis quelques femmes entrepreneures qui m'inspirent, comme : Emily Weiss de Glossier, Jen Hyman de Rent the Runway et enfin Jennifer Brandel qui a créé ce mouvement appelé "Zebras Unite", qui offre une définition alternative du succès au sein de l’écosystème du capital de risque. Elle appelle les «zèbres» (contrairement aux licornes) des entreprises avec des modèles un peu plus atteignables, pour les entrepreneur.e.s qui ne recherchent pas seulement une croissance turbo-chargée à tout prix, mais qui cherchent à construire quelque chose qui a du sens et un impact positif dans la société.

 

Quelle est votre devise personnelle?

Chantal : J'adore la métaphore de devoir remplir un pot avec une ou deux grosses pierres, des cailloux et du sable. Les gros rochers symbolisent les projets les plus importants de votre vie (que ce soit au travail ou à la maison), les cailloux les projets de moyenne importance et le sable les projets de faible importance. La leçon? Si vous ne mettez pas les grosses pierres dans le pot en premier, elles ne rentreront pas plus tard. C’est utile pour moi lorsque je me sens surchargée de travail, épuisée et que je dois me rappeler d’établir des priorités.

Chrissy : Le mien n'est pas si inspirant mais le voici : votre meilleur suffit.  Beaucoup de mes amies entrepreneures qui commencent à avoir des familles portent beaucoup de culpabilité, car elles sentent qu'elles ne sont jamais assez pour aucun des rôles qu'elles ont à jouer dans leur vie.  Au fur et à mesure que je grandis et que mes responsabilités deviennent plus étendues, je commence à ressentir la même culpabilité. J'essaie de me dire qu'il n'y a personne d'autre au monde qui puisse faire mieux que ce que je fais pour mon entreprise.

Et mon deuxième coup de coeur : haters gonna hate!  (Rires).

 

 

 

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