Retour aux nouvelles

L’ange investisseur et son entrepreneur: une relation de mentorat?

Le président du CA d'Anges Québec et ange investisseur aguerri, Michel Lozeau, s'est exprimé sur la relation qui existe entre l'ange investisseur et les entrepreneur.e.s auprès de qui il s'investit.

L’ange investisseur et son entrepreneur: une relation de mentorat?

Par Michel Lozeau, IAS. A, Président du conseil d’administration d’Anges Québec, Ange investisseur, administrateur de sociétés et coach de dirigeants

Publié dans la Trousse mentorale de Mentorat Québec, disponible ici.

Le contexte

L’entrepreneuriat est en croissance depuis quelques décennies, et depuis une douzaine d’années au Québec nous avons pu bénéficier de la création d’Anges Québec, un OBNL qui regroupe des individus qui participent au financement d’entreprises en démarrage. La taille de ces entreprises (0 à 10 employés) et la précarité de leur stade de développement font en sorte que l’apport recherché des anges inclut normalement un accompagnement, en plus de l’injection de capitaux. La devise d’Anges Québec est d’ailleurs « investir et s’investir ». Dans cet article, nous explorons les différentes formes de cet accompagnement ainsi que les limites à respecter et les dérives à éviter.

Accompagner un entrepreneur

« On peut amener un cheval à la rivière, mais on ne peut pas le forcer à boire ». Ce dicton populaire me vient en tête pour aborder le sujet de l’accompagnement. L’investisseur peut être motivé et bien intentionné pour accompagner son entrepreneur, mais faut-il encore que ce dernier soit réceptif à l’idée d’obtenir des conseils et des opinions.

Plusieurs entrepreneurs auront naturellement une grande confiance en eux-mêmes, ce qui pourrait faire obstacle à cette ouverture d’esprit. Dans leur décision d’investir dans une entreprise, les anges investisseurs prennent en compte certaines qualités précises chez les fondateurs, dont l’écoute, l’humilité et la capacité d’encaisser des échecs sans se décourager.

Dans le cas où notre fondateur et son investisseur sont tous les deux dans les meilleures dispositions possible pour favoriser un accompagnement, celui-ci peut généralement se structurer de deux manières : d’abord en accueillant l’ange comme membre du conseil d’administration de la société, ou encore au sein d’un comité de conseillers externes plus ou
moins formel.

Les sujets d’accompagnement

Évidemment, les fondateurs seront d’abord intéressés par le développement de leur entreprise et l’acquisition de clients qui généreront des revenus.

Bien que le carnet d’adresses de l’ange soit sans doute utile, les sujets d’accompagnement les plus porteurs sont d’abord et avant tout de l’ordre des qualités humaines. L’expérience d’affaires d’un ange qui aura été lui-même entrepreneur apportera un éclairage aux décisions auxquelles le fondateur fera face.

Quel niveau de risque personnel est acceptable? Comment motiver les premiers employés et bâtir une culture d’entreprise? Comment se comporter avec la concurrence? Comment solliciter du financement?

Selon mon expérience, les sujets les plus difficiles — et qui sont les plus porteurs — touchent les décisions qui ébranleront l’entrepreneur au coeur de ses valeurs. Les suppressions de postes qui surgiront inévitablement dans un parcours d’entreprise seront déterminantes. La rapidité d’exécution qui est essentielle à la survie d’une entreprise amènera l’entrepreneur à se mesurer à ses propres valeurs. La relation entre les cofondateurs eux-mêmes est un sujet privilégié où le soutien d’une personne externe à l’entreprise peut être utile pour éviter les conflits et favoriser une collaboration et un partage sain des attentes réciproques.

Dans un cas particulier, j’ai eu à aider deux cofondateurs à bien naviguer avec le départ de l’un d’entre eux, à sa demande, puisqu’il estimait avoir accompli son objectif initial en programmant le logiciel, et qu’il ne se voyait pas demeurer en place pour diriger une équipe et en assurer l’évolution.

Dans un autre cas, j’ai pu appuyer un entrepreneur pour réfléchir à la manière de procéder au rachat de plusieurs cofondateurs de la première heure qui n’étaient plus actifs dans l’entreprise et dont la présence au capital devenait une friction aux financements subséquents.

Dans ces deux cas, les réflexions suscitées et les conseils prodigués peuvent se rapprocher du mentorat, sans déclencher une situation de conflit d’intérêts.

Limites à respecter

La saine gouvernance d’une entreprise impose d’observer des règles strictes pour respecter les lois qui encadrent son activité. Un administrateur a des responsabilités spécifiques et un devoir de loyauté envers l’entreprise, ses actionnaires, ses employés, et même les parties prenantes externes comme les fournisseurs.

Ce rôle vient nécessairement poser des limites aux postures que peut prendre un ange quand il conseille l’entrepreneur. L’ange qui représente aussi les investisseurs et prêteurs de l’entreprise se retrouve dans une position d’autorité devant l’entrepreneur, duquel il doit rechercher un résultat de performance afin de produire un rendement financier.

Ce positionnement empêche la neutralité et l’indépendance complète qu’un coach ou un mentor se doit de posséder pour agir dans l’intérêt supérieur de son mentoré.

Dérives à éviter

La principale dérive que j’ai pu observer dans une relation ange-entrepreneur consiste à devenir excessivement directif dans la façon de conseiller l’entrepreneur. Pour préserver les bons principes de gouvernance, un administrateur ne doit pas franchir la frontière qui sépare le conseil et son opinion sur la décision elle-même.

La direction de l’entreprise, et l’entrepreneur-fondateur sont les seuls redevables de leurs décisions. L’ange qui accompagne un fondateur peut l’éclairer, lui offrir des témoignages ou lui relater des expériences, mais en fin de compte, ce n’est pas à lui de prendre les décisions.

Dans les cas où cette dérive a été observée, il s’ensuit presque toujours un conflit sérieux qui mène au bris de la relation, ou pire, à un changement de dirigeant, ce qui est très risqué pour une entreprise qui est en phase de démarrage.

L’Ange, un mentor?

Selon mon expérience, il n’arrive pas souvent qu’une relation de mentor se développe entre un investisseur et son entrepreneur. Les limites dues à la posture de l’investisseur vis-à-vis l’entrepreneur, sa relation d’autorité et la reddition de comptes qui en découle, font en sorte que le climat est rarement propice à l’échange désintéressé qui constitue la base d’un accompagnement réussi. Dans les cas où cela se produit, il y aura ces moments où l’entrepreneur cherchera l’avis de la personne qu’il a appris à respecter, et où il pourra compter sur l’intégrité de cette dernière pour éviter les conflits d’intérêts, en lui offrant le meilleur conseil possible.

L’ange qui acceptera un rôle de conseiller sur un comité plus ou moins formel aura beaucoup plus de latitude pour adopter une posture de mentor. Il aura d’autant plus de liberté pour offrir ses conseils et son expérience dans le cas où son implication financière dans l’entreprise est minimale ou nulle, et où il n’a pas la charge de représenter les autres actionnaires.

D’ailleurs, les règles qui régissent les relations de mentorat entrepreneurial formelles incluent presque toujours une interdiction d’investissement de la part du mentor pour toute la période de la relation, et même parfois au-delà, pour justement favoriser l’indépendance du mentor.

En terminant, si je cherche dans mon expérience des moments où mon action a pu s’approcher d’un accompagnement de type mentorat, deux situations me viennent à l’esprit.

La première est au moment où la pandémie a frappé en mars 2020, et où j’ai organisé des réunions virtuelles pendant plusieurs semaines entre quatre PDG de mes entreprises pour qu’ils échangent entre eux et tirent profit des expériences de chacun. Il y avait aussi un objectif de rehaussement de moral collectif dans ces rencontres axées sur les
solutions.

La deuxième situation s’est produite quand l’une de ces entreprises a dû décider des mises à pied importantes, et où j’ai fait bénéficier les dirigeants d’une expérience semblable dans une autre entreprise quelque temps auparavant. Le partage d’expériences qui en est résulté a touché autant les dimensions humaines en communication et l’empathie, que les aspects techniques et financiers.

Conclusion

Bien qu’il y ait de sérieux obstacles à l’intégration du mentorat dans une relation d’accompagnement par un investisseur, les exemples précédents illustrent bien que des éléments de mentorat pourront s’insérer dans une telle relation à la faveur des aléas d’une entreprise en démarrage.

Pour que cela se produise, il est essentiel que l’entrepreneur fondateur perçoive que son « mentor » possède une expérience d’affaires pertinente et qu’il démontre un intérêt personnel à réussir.

La prudence est de mise pour éviter les écueils touchant les conflits d’intérêts ou l’usurpation des pouvoirs de la direction. Mais il serait dommage de se priver des bénéfi ces liés au partage d’expériences lorsque la situation s’y prête.

À propos de l'auteur

Depuis une vingtaine d’années, l’auteur a agi en qualité d’ange investisseur auprès d’une trentaine d’entreprises en démarrage. Comme celui-ci exerce parallèlement le métier de coach de dirigeants, la question de l’adoption d’une posture de mentor avec ses entrepreneurs peut se poser.

Nous utilisons des témoins de connexion - cookies - à des fins statistiques, en vue d'améliorer votre expérience de navigation sur notre site internet. L’équipe d'Anges Québec est engagée à protéger votre vie privée et applique sa politique de confidentialité avec rigueur. En utilisant notre site internet, vous acceptez que celui-ci dépose des témoins sur votre appareil.