Entrevue avec Jacqueline Khayat, ange investisseure et Marina Massingham, PDG d'Aifred Health
Ces femmes qui osent
Dans le cadre de son initiative "Ces Femmes Qui Osent", qui a pour but d'accroître la diversité hommes-femmes chez les anges investisseur.e.s, Anges Québec dévoilera au courant du mois de mars une série d’entretiens avec des femmes entrepreneures et anges investisseures inspirantes qui ont fait leur place dans un monde d’hommes.
En savoir plus sur l'initiative #CesFemmesQuiOsent.
Rencontrez Jacqueline Khayat, ange investisseure et Marina Massingham, PDG d'Aifred Health.
Bonjour mesdames. Merci d’avoir accepté notre invitation! Pouvez-vous nous parler de vos parcours professionnels?
Jacqueline: Je suis une nouvelle ange investisseure, étant membre d'Anges Québec depuis maintenant 2 ans. J'ai été attirée par AQ en raison de mon intérêt pour l'entrepreneuriat (j'ai toujours eu la fibre entrepreneuriale en moi). Je n’ai pas démarré beaucoup d’entreprises, mais j’ai été impliquée dans de nombreuses startups soit en tant que coach d’affaires, soit en faisant de petits et gros investissements.
Je travaille actuellement pour Neptune Wellness, où j'ai participé à la refonte de l'entreprise à bien des égards. La société est passée de fabricant d'ingrédient unique dans le domaine des oméga-3 à une société CPG (consumer packaged goods) à part entière, possédant différentes marques, proposant des services d'extraction des produits dans le cannabis et produisant du chanvre aux États-Unis. Au fil des années, j’ai joué un rôle majeur dans de nombreuses décisions stratégiques impliquant la diversification des flux de revenus de l’entreprise.
Je dis toujours que je suis une entrepreneure au sein d'une entreprise, car j'ai participé à la création de valeur et à la construction d'une histoire pour les investisseurs. En très bref, c’est ce que je fais!
Marina : Je suis Anglaise, plus précisément de Londres. Je suis arrivée au Canada il y a 7 ans. Mon parcours professionnel est le conseil en management. Je suis devenue la plus jeune et la seule partenaire féminine de mon niveau à 20 ans. Peu de temps après, j'ai fait une transition classique du conseil à l'industrie, où j'ai travaillé en CPG avant de rejoindre l'industrie pharmaceutique. Dans cette industrie, j’ai occupé le poste de responsable du développement des talents pour le volet commercial des activités mondiales de Novartis.
Après mon arrivée au Canada en 2013, j'ai cofondé ma première startup, une société pharmaceutique spécialisée, qui a réussi sa sortie en 2015. Pendant quelques années, j'ai travaillé pour la startup qui nous a acquis avant de rejoindre Aifred Health à titre de PDG professionnelle. Aifred se spécialise dans la santé mentale et crée des outils numériques d'aide à la décision clinique pour les médecins afin d'améliorer la gestion des traitements et la sélection des traitements en santé mentale, en commençant par la dépression.
Récemment, nous avons annoncé qu'Aifred avait été choisie comme l'une des trois finalistes du Global IBM Watson AI XPRIZE, un concours mondial de 4 ans offrant un premier prix de 3 millions de dollars.
Je suis une femme passionnée par ce qu'elle fait, car un membre de ma famille proche souffre de dépression majeure avec psychose. Il avait 17 ans lorsqu'il est tombé malade pour la première fois, 18 au moment où nous avons réussi à le faire soigner et il a fallu 10 ans avant qu'il ne se stabilise. Par conséquent, je suis très axée sur notre mission puisque que je vois la nécessité de faire arriver un énorme changement dans la façon dont les patients souffrant de graves problèmes de santé mentale sont traités. L’approche par essais et erreurs adoptée aujourd’hui pour la sélection des traitements est la même qu’elle l’était il y a 20 ans et je crois que la technologie d'Aifred peut vraiment faire une différence dans la vie des patients.
Marina, quelle est la caractéristique essentielle que tu recherches chez un.e investisseur.e?
Je recherche des investisseurs qui partagent ma passion, car s’ils partagent ma passion, ils soutiendront la mission d’Aifred. Il ne s’agit pas d’un chèque; nous entamons une relation. Le chèque n'est que la première étape.
Si les investisseurs partagent ma passion, comprennent ma mission, cela facilite cette relation et je sais qu'ils me soutiendront probablement lorsque les choses se compliquent, ainsi que lorsque les choses se passent bien.
Jacqueline, quelle est la caractéristique essentielle que tu recherches chez un.e entrepreneur.e?
Je recherche des gens comme Marina qui sont très passionnés par ce qu'ils font et qui croient en leur histoire. Je pense que c’est très critique car un entrepreneur doit incarner les valeurs et la mission de l’organisation afin de pouvoir les transmettre aux employés et aux clients. J'aime aussi les entreprises et les entrepreneurs qui innovent et qui identifient vraiment les lacunes du marché afin d'apporter une solution à un problème réel.
Mettez tous ces éléments ensemble, ajoutez une bonne équipe de direction et entourez-les des bons talents et vous avez ce que je recherche en tant qu'investisseure.
De votre point de vue, y a-t-il une différence dans la façon dont un investisseur analysera un entrepreneur masculin par rapport à une femme entrepreneure?
Jacqueline : Je pense qu'il y a une différence. J'ai lu qu'une présentation identique donnée par un homme versus une femme ne donne pas le même résultat. Il y a donc clairement un biais, ce qui n'est pas forcément surprenant, car c'est un problème récurrent qui est porté depuis des années par la société en général. Bien que je pense qu'il y a un changement en cours, ce qui est formidable, je pense qu'une femme sera perçue différemment par les investisseurs. Elle sera analysée de manière plus critique, sera moins crue dans sa capacité à exécuter une stratégie et à atteindre certains jalons de valeur, plutôt que d'être vue pour l'opportunité que présente son entreprise.
Marina : J'ai beaucoup entendu parler de ce dont parle Jacqueline et je reconnais que cela existe. D'après mon expérience, on a souvent beaucoup insisté sur les inconvénients et les problèmes éventuels et moins sur le potentiel. C'est un fait à reconnaître, accepter et à naviguer. Je ne pense pas que cela me diminue.
S'il y avait plus de femmes investisseures dans l'industrie canadienne du capital de risque, pensez-vous que cela changerait quoi que ce soit et si oui, quoi?
Marina : Je peux parler de ma propre expérience. Je peux compter seulement une femme parmi mes investisseurs et elle et moi avons établi une connexion immédiate en tant que personnes. Je suis sûre que la connexion a été un élément important dans sa décision d'investissement, car il s'agit d'un investissement d'un humain à un autre. Oui, il y a beaucoup de diapositives et de chiffres, mais établir une connexion est important. Il peut parfois être plus facile d'établir un lien avec des personnes du même sexe. J'adorerais voir plus de femmes comme elle dans les fonds de capital de risque.
De plus, je pense qu'il y a aussi un autre type de questions qui vous sont posées par les femmes investisseures, qui découlent d'une perspective et d'une expérience différentes. Cela m'a donné la chance de mettre en valeur certaines de mes expériences et compétences qui n'ont pas été explorées par d'autres investisseurs. J'ai senti qu'elle a pris une décision d'investissement basée sur sa compréhension de moi en tant que PDG et être humain, en plus de sa compréhension de l'entreprise. Je pense que cela lui a permis d'avoir une compréhension plus globale de ce que nous faisons, en comparaison à d'autres investisseurs à qui nous avons parlé qui se concentraient uniquement sur ce que les inconvénients potentiels pouvaient être. Je pense qu'elle a probablement pris une décision d'investissement plus judicieuse car elle comprenait mieux l'ensemble.
Jacqueline : Pour commencer, si nous avions plus de femmes anges ou associées dans l'industrie du capital de risque, nous attirerions peut-être plus de femmes entrepreneures. C’est la vieille question de la poule ou de l’œuf. Je pense certainement que le monde du capital de risque a été très dur avec les femmes. C'est une culture très fraternelle qui a été dominée par les hommes et je pense que les femmes se sentent parfois un peu mal à l'aise à cause de la culture ou des habitudes. Je pense que cela est en train de changer, mais certainement que d'avoir plus de femmes investisseures ferait une différence pour attirer et amener plus de femmes entrepreneures à la table.
Marina, avant d'approcher des investisseurs pour lever des fonds, avais-tu des appréhensions par rapport à la façon dont tu serais perçue en tant que femme?
Marina : Je suis une entrepreneure en technologie de la santé. Dès que vous ajoutez «technologie» à quoi que ce soit, je ne me conforme pas aux stéréotypes de ce à quoi ressemble un leader technologique prospère. J'ai toujours été consciente du modèle mental que les gens avaient des entrepreneurs technologiques, qu'ils soient investisseurs ou non.
J'adorerais voir plus de modèles de femmes entrepreneures technologiques mises en évidence afin que, lorsque j'entre dans une pièce, les investisseurs aient un autre modèle auquel ils pourraient m'identifier.
Quant à toi Jacqueline, lorsque tu t'es jointe à Anges Québec, avais-tu des appréhensions quant à la façon dont tu serais perçue en tant que femme?
Jacqueline : Je pense que j'ai supposé que les membres seraient majoritairement des hommes, juste par habitude. J'y suis tellement habituée que je n'y pense plus vraiment. Cela ne m'empêche pas de faire des choses et d'oser. Même si mes attentes étaient très réalistes, j'ai été surprise du peu de femmes présentes dans la salle lorsque j'ai assisté à mon premier événement.
Je comprends parfaitement à quel point cela peut être un peu intimidant d'intégrer un monde qui est majoritairement composé d'hommes, mais d'un autre côté, j'avais l'impression que mon expérience était intéressante et j'étais confiante. Je me souviens m'être présentée seule et assise à une table avec un groupe d'hommes que je ne connaissais pas. Ils étaient parfaitement gentils et très intrigués par qui j'étais, donc parfois être une femme devient presque une opportunité de se démarquer.
Quelles sont les solutions pour attirer davantage de femmes entrepreneures vers le capital de risque?
Marina : Je pense qu'avoir plus de femmes investisseures est bien sûr bénéfique, mais je pense qu'avoir un meilleur mélange de femmes entrepreneures qui présentent lors de ces sessions aiderait. Je pense que les femmes gagnent en confiance en voyant d’autres femmes dans la même position qu’elles. J'ai eu la chance de commencer à bâtir, à Montréal et à l'extérieur, un réseau de femmes PDG de startups formidables, avec lesquelles je peux partager des problèmes communs, échanger des expériences et grandir en tant que PDG.
Lorsque vous approchez des fonds d'investissement, vous y allez toute seule. Anges Québec est l'un des rares endroits de l'industrie du CR où vous faites partie d'un groupe de personnes, ce qui donne la chance d'observer les autres. Je pense qu'avoir plus de femmes entrepreneures qui passent par le processus AQ en simultané serait vraiment intéressant à voir.
Jacqueline : C'est un très bon point. De plus, je pense que tout commence par une intention, donc j'aime le fait qu'Anges Québec se soit donné un mandat et un objectif en matière de diversité hommes-femmes. Si vous n’avez pas réellement d’intention, cela ne se produira jamais. J'aime aussi le fait que nous ayons maintenant une femme PDG chez Anges Québec, ce qui est une excellente façon de montrer l'exemple.
Je pense que nous devons tous nous responsabiliser pour atteindre les objectifs fixés et nous efforcer d’incarner le progrès que nous souhaitons voir. Ces Femmes Qui Osent est une très belle initiative.
Quelle relation les femmes entretiennent-elles avec la perfection, selon vous?
Jacqueline : Je pense que les femmes doivent laisser tomber la perfection. Je pense que le problème est qu'un homme n'hésitera pas deux fois à mettre son nom sur la liste pour la prochaine promotion, alors qu'une femme aura toutes les qualifications et sera encore hésitante, incertaine et moins audacieuse. Nous devons changer cela tôt, avec les enfants et les jeunes filles.
Vous n’avez pas besoin d’être prête à 100%. Vous devez oser et vous faire confiance. Vous ne pouvez pas attendre que les choses soient parfaites, car vous manquerez alors le bateau. Ce qui m'a aidé dans ma carrière est d'avoir d'excellents mentors masculins qui ont reconnu mon talent et qui m'ont aidé à avancer et à me mettre au défi. Prendre des risques est essentiel. En tant que femmes, nous sommes plus averses au risque, nous n’aimons pas trop oser et avons tendance à prendre des décisions d’investissement de manière plus traditionnelle.
Marina : Je pense exactement la même chose que Jacqueline. Avec l'âge, l'expérience, le soutien des mentors et des collègues, vous apprenez à vous juger sur ce que vous êtes capable d'accomplir plutôt que sur la perfection de votre apparence ou sur la perfection de l'exécution d'une idée par rapport à votre vision originale. Vous construisez votre confiance grâce à cette expérience.
De plus, je pense que les jeunes femmes vivent dans une culture Instagram, un monde qui encourage et exige un degré de perfection que nous n'avons pas eu à gérer nous-mêmes en grandissant. Je me demande si cela les rendra plus réticentes à accepter les imperfections, les risques et les façons de se remettre en question.
Questions en rafale
Une femme que vous admirez, connue ou non?
Jacqueline : Tout le monde aime Kamala Harris pour avoir été la première femme nommée Vice-présidente des É.-U., que vous soyez républicain ou démocrate. Je pense qu'elle est compétente, articulée et possède une présence bien ancrée. Dans une toute autre catégorie, je trouve que Brené Brown est vraiment géniale. Elle est connue pour son courage à parler de la vulnérabilité et de la façon dont les femmes devraient se présenter dans une pièce remplie d'hommes et accepter la vulnérabilité qu'elles pourraient ressentir. Elle est une grande oratrice et auteure tout en étant hilarante. L'un de ses livres les plus célèbres s'appelle Daring Greatly.
Marina : Il y a une mathématicienne des années 1800, appelée Ada Lovelace. Elle a travaillé sur un précurseur de l'ordinateur et a publié le premier algorithme destiné à être opéré par une machine, que vous pouvez étendre, à certains égards, au précurseur de l'IA moderne. C'était une femme remarquablement intelligente née dans une période très ennuyeuse pour son sexe. Le fait qu'elle ait été capable de faire ce qu'elle a fait et de briser les stéréotypes de son époque, d'utiliser son incroyable intellect pour produire un travail qui est toujours reconnu aujourd'hui, bat toute attente. Elle a simplement utiliser son intelligence et sa créativité pour faire sauter les barrières, ce qui est impressionnant.
Une devise personnelle qui vous inspire?
Jacqueline : J'en ai quelques-unes. J'aime souvent dire qu'il n'y a pas d'avenir dans le passé. Il ne sert à rien de regarder en arrière et de regretter. J'aime toujours regarder en avant et surmonter de nouveaux défis.
Il y a aussi cette célèbre citation de Marilyn Monroe : les femmes qui cherchent à être égales aux hommes manquent d'ambition. (Rires)
Marina : Je cherche à être fidèle à moi-même, à ma mission et solidaire de mon équipe. Je pense aussi toujours à escalader la prochaine montagne, puis la suivante et ainsi de suite.
Il y a une phrase que je dis souvent à mon équipe : ne vous accrochez pas à une erreur parce que vous avez investi beaucoup de temps à la commettre. Il est assez difficile pour les gens d’abandonner des choses qui ne fonctionnent pas, mais c’est nécessaire. Nous sommes dans un environnement en constante évolution et si nous voulons être innovants, nous devons reconnaître quand quelque chose ne fonctionne pas, quand les efforts ne produisent pas les résultats désirés, puis avoir le courage de laisser tomber et de passer à autre chose.